Le comité de rédaction de la revue Studia Romanica Posnaniensia lance un appel à contribution pour le numéro 50/1, à paraître en mars 2023, sous la direction de Jędrzej Pawlicki et Marta Sukiennicka.
À l’aube du XXIe siècle, un nouveau « tournant » interdisciplinaire a marqué les études culturelles, le spatial turn se proposant d’étudier les relations entre les sciences humaines et la géographie. Dans le contexte strictement littéraire, ses objets d’études sont à la fois « la littérature dans l’espace » et « l’espace dans la littérature », selon la formule de Franco Moretti1 qui a cartographié le marché du roman européen au XIXe siècle tout en explorant le sens des géographies imaginaires de divers romanciers. En France, la nouvelle méthodologie géocritique ou géopoétique a été développée notamment par Bertrand Westphal et Michel Collot qui ont proposé des approches complémentaires de la dynamique des interactions entre l’espace géographique et le fait littéraire.
Sans se restreindre à une ambition purement descriptive, la géocritique peut aussi devenir un discours engagé en rejoignant ainsi les postulats de l’écocritique, soucieuse de la préservation de l’environnement2. De fait, la géocritique n’est pas seulement une méthodologie littéraire, c’est également une pensée critique du progrès industriel de nos sociétés s’accomplissant au détriment de la Terre et de ses ressources. Selon Kenneth White, le premier théoricien de l’approche géocritique, l’engagement en faveur d’une nouvelle éthique de l’homme habitant la planète est central dans les études géocritiques. Toujours selon ce même philosophe, ce fut la période romantique qui inaugura une nouvelle lecture de l’espace et une nouvelle philosophie de l’être au monde, plus proche de la Terre. De diverses manières, cette thématique informe la littérature depuis le romantisme jusqu’à la période contemporaine.
De surcroît, la géocritique peut être appréhendée non seulement comme une nouvelle théorie littéraire ou un discours militant : elle invite également à interroger les rapports entre la littérature et les sciences de la Terre. Au cours du XIXe siècle, la géographie a du mal à se faire reconnaître en tant que science au même titre que la biologie, la chimie ou la géologie : située entre les sciences physiques et morales, souvent ignorée de traités d’épistémologie modernes, la géographie est trop descriptive et trop peu systématique pour pouvoir acquérir le statut d’une science autonome3. Pourtant, c’est précisément ce caractère transdisciplinaire de la géographie qui peut la rapprocher d’une écriture littéraire de la Terre et de ses habitants.
La philosophie romantique, notamment la Naturphilosophie allemande, a laissé une empreinte sur l’écriture géographique lui fixant des objectifs à la fois scientifiques, écologiques et esthétiques. Les romantiques se tournent volontiers vers la province et voyagent à l’étranger pour explorer le patrimoine historique et les terroirs – y compris ceux très lointains. Au milieu du siècle, les travaux d’Alexandre von Humboldt donnent à l’écriture de la Terre de nouvelles méthodes et des ambitions descriptives universalistes. Dès lors, la discipline connaît un développement rapide, notamment grâce aux travaux de Paul Vidal de la Blache et d’Élisée Reclus qui suscitent aujourd’hui un intérêt grandissant parmi les universitaires4. Ainsi, il nous semble intéressant d’investiguer la manière dont la géographie s’écrit avant et après son institutionnalisation moderne au seuil du XXe siècle. Quelle est la part de la littérature dans l’écriture géographique ? Comment la littérature à son tour s’empare-t-elle de nouveaux savoirs géographiques ? Ce sont ces points de croisement entre la littérature et la géographie, elle-même discipline-carrefour selon plusieurs chercheurs, que l’on voudrait explorer dans le prochain numéro de notre revue.
Les thématiques que nous proposons d’aborder dans ce volume sont les suivantes (à titre indicatif) :
- l’écart entre la géographie référentielle et les géographies imaginaires
- les écrivains-géographes (J. Verne, J. Gracq ; É. Reclus, P. Vidal de la Blache etc.)
- l’écriture scientifique versus l’écriture littéraire de l’espace naturel (montagnes, volcans, fleuves, océans, déserts, forêts, etc.)
- l’écriture régionaliste
- la géographie et la cartographie (mapping) de la production et de la réception de la littérature (F. Moretti)
- les topographies, les topologies, les cartes dans la littérature
- l’importance de l’intertextualité dans les récits d’espace, la part de l’imaginaire et de l’intertextuel dans la description des « lieux où l’on n’a pas été » (P. Bayard)
- l’articulation du géologique et du biologique au spirituel (T. de Chardin, T. Monod)
- la géographie postcoloniale (C. Chivallon, C. Hancock, F. Ripoll, J.-F. Staszak, V. Veschambre et autres)
- la géographie culturelle (E. Dardel, M. Brosseau, J.-L. Tissier et autres)
1 Franco Moretti, Atlas de la littérature européenne (1800-1900), Paris, Seuil, 2000, p. 9.
2 Voir Stéphanie Posthumus, Rachel Bouvet, « Eco- and Geo- Approaches in French and Francophone Literary Studies: Écocritique, écopoétique, géocritique, géopoétique » in : Hubert Zapf (dir.), Handbooks of Ecocriticism and Cultural Ecology, Berlin, Walter de Gruyter, 2016, p. 385-412.
3 Numa Broc, « La pensée géographique en France au XIXe siècle : continuité ou rupture ? », Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest, t. 47/3, 1976, p. 225-247.
4 Voir par exemple le site de l’exposition consacrée à Vidal de la Blache, organisée par l’ENS et la Sorbonne en 2018 : https://nubis.univ-paris1.fr/exhibits/show/sur-les-pas-d-un-geographe/decouvrir-un-corpus
Les articles doivent être rédigés en français (jusqu’à 30 000 signes, espaces comprises). Ils seront soumis à l’évaluation par deux experts indépendants.
Calendrier
– Soumission des propositions (résumés d’articles) : 30 décembre 2021
– Communication de l’acceptation des propositions d’articles : 15 janvier 2022
– Soumission des articles complets : 1 juin 2022
– Retour des évaluations : septembre 2022
– Soumission des articles révisés : 15 novembre 2022
– Publication : mars 2023
Les propositions d’articles (nom, prénom, affiliation, adresse électronique, titre, résumé max. 300 mots) sont à envoyer aux deux adresses suivantes : pawlicki@amu.edu.pl, marta.sukiennicka@amu.edu.pl
Les auteurs dont les articles auront été acceptés en seront avisés par e-mail.
Les articles soumis à la publication doivent respecter les consignes de rédaction que vous trouverez à l’adresse suivante :