Juliusz Bardach – historien de droit et historien tout court (un demisiècle de travail)

Abstract

Le soixante-dixième anniversaire de Juliusz Bardach, fêté l'an dernier et surtout le cinquantenaire de son travail scientifique m'incitent à dresser un bilan de ses réalisations, bilan provisoire bien sûr, parce que la personne dont je vais parler est en pleine activité. Il arrive à la fin de sa carrière universitaire à l'Institut d'histoire de droit de l'Université de Varsovie après 35 années de travail (depuis 1950), mais il est toujours actif en tant que membre-correspondant de l'Académie Polonaise des Sciences, au Comité des Sciences Juridiques où il est vice-président, ainsi qu'au Comité des Sciences Historiques de l'Académie.
Ce n'est guère par pure coïncidence que j'ai l'intention de présenter l'oeuvre de Juliusz Bardach sur le fond de ce qu'on a entrepris et réalisé dans le domaine des sciences historiques, comprises dans leur sens le plus large. Mais c'est surtout dans la sphère des sciences historicojuridiques qu'on peut apprécier les traits caractéristiques de l'oeuvre de Juliusz Bardach et en particulier ses talents d'organi- sateur manifestés dans l'ensemble de son activité scientifique, qui date de 1935, mais qui se développe pleinement depuis la fin des années quarante.
Au cours des premières années de l'après-guerre les universitaires polonais devaient non seulement reconstruire les écoles supérieures et les instituts détruits par les nazis, créer ou recréer les bibliothèques en majorité pillées et brûlées. Une autre tâche les attendait – urgente, les conditions de l'époque, qui apporta de profonds changements politiques et sociaux: la nécessité de préparer des manuels modernes et des synthèses scientifiques qui puissent permettre de former la jeunesse. En l'occurence il s'agissait de l'histoire.
L'idée de créer des synthèses modernes dans les sciences historiques est devenue une véritable passion pour Juliusz Bardach. Celui-ci, disciple de Stéphane Ehrenkreutz (mort en 1945) à l'Université Etienne Batory à Vilna, était l'auteur d'une étude sur l'adoption dans le droit lituanien du XVe et XVIe s. (1938), qui dix ans après sa publication fut reçue comme thèse de doctorat à la Faculté de Droit de l'Université Jagellonne par le jury présidé par Adam Vetulani. Juliusz Bardach s'intéressait surtout à l'histoire médiévale, prenant part à la préparation des manuels et de la synthèse de l'Histoire de la Pologne (celle-là sous les auspices de l'Académie Polonaise des Sciences). Il initia en même temps (1950) dans le milieu d'historiens du droit des travaux sur une synthèse d'histoire de droit polonais et des institutions en Pologne. Il participa lui-même à cet ouvrage en tant que rédacteur en chef de l'Histoire de l'Etat et de droit en Pologne et auteur du premier volume consacré au Moyen Age. L'équipe qui se forma pour accomplir ce dessein était composée d'historiens de droit de grande renommée pour ne citer que les noms de Jan Adamus, Konstanty Grzybowski, Michał Sczaniecki, Bogusław Leśnodorski, Zdzisław Kaczmarczyk, Władysław Sobociński. Les travaux, après des années d'efforts persevérants, ont été menées à une bonne fin, et ces oeuvres furent éditées plusieurs fois et sous plusieurs formes. On peut constater, sans aucune exagération, qu'elles ont ouvert une nouvelle page dans l'histoire polonaise de droit et des institutions.
Intéressé par le côté méthodologique des sciences historiques, conscient de la nécessité de perfectionnement des méthodes appliquées jusqu'ici, de la valeur des méthodes nouvelles inspirées surtout par le marxisme, Juliusz Bardach se rendait compte que les grandes synthèses servaient le mieux ce but escompté. Mais il n'est pas seulement un „synthétiste" de grande envergure, mais surtout un chercheur aux horizons très larges. Se concentrant surtout sur le Moyen Age et les débuts de l'époque moderne, il prend volontiers la parole, avec beaucoup de compétence, sur les sujets qui atteignent presque les temps contemporains. De prédilection il est historien de droit et des institutions, mais son oeuvre dans le domaine de l'histoire générale est aussi non négligeable. Les problèmes qui lui tiennent surtout au coeur sont ceux de l'ancienne Lituanie et de l'ancienne Pologne; il embrasse cependant de son regard le monde slave en entier, en franchissant d'ailleurs souvent ses frontières.
L'oeuvre de Juliusz Bardach compte plus de 300 publications (voir: bibliographie dans „Czasopismo Prawno-Historyczne". t. 27. 1975, pages 1 - 2 3 et dans ce volume, p. 43 - 56). A titre d'exemple on en peut mentionner quelqu'unes concernant l'ancien droit lituanien.
De l'étude sur l'adoption j'avais déjà parlé. Son auteur a entrepris ensuite des recherches sur l'indivision familiale dans les Statuts lituaniens, sur la pratique de la chancellerie lituanienne sous le règne de Sigismond Ie r Jagellon, sur la donation réciproque, enfin sur le problème des mariages laiques pratiqués par la population ruthène du Grand Duché de Lituanie. Les années suivantes l'auteur fit des recherches comparatives sur les „smerds" – catégorie de la population paysanne dans plusieurs pays slaves et le „sok" – personne de foi publique intervenant au cours de la procédure probatoire en plusieurs pays de l'Europe Centrale et Orientale. A côté de ces recherches concernant en premier lieu le droit privé et la procédure, il analysa, et plus d'une fois, les Statuts lituaniens – grands monuments législatifs de l'époque de la Renaissance, jeta une nouvelle lumière sur les assemblées d'états en ancienne Lituanie et s'intéressa aux problèmes complexes de l'union polono-lituanienne. Il a manifesté enfin sa largeur d'esprit à l'occasion de ses publications sur l'histoire de la Lituanie au XIXe et au début du XXe siècle, en premier lieu sur le processus de la formation de la nation lituanienne contemporaine, sur les relations sociales et les conceptions politiques divergentes avancées par les populations multinationales de l'ancien Grand Duché.
Le problème de l'histoire du parlementarisme polonais peut servir de deuxième exemple. A côté de l'histoire de la Lituanie c'est le champ de recherche préféré de Juliusz Bardach. Il nous faut rappeler ici que l'initiative de Juliusz Bardach devait conduire à l'étude exhaustive de l'histoire de la Diète polonaise en forme d'une série de monographies. Les travaux d'une équipe formée à ce but sont avancés. En marge l'Institut d'Histoire de l'Académie a préparé l'Histoire de la Diète Polonaise, en principe oeuvre de vulgarisation, qui doit compter trois volumes et dont le premier, sur la Diète nobiliaire, est déjà paru. Juliusz Bardach est l'auteur du texte qui mène des origines jusqu'au début du XVIe siècle. En effet ce qui l'intéresse en premier lieu ce sont les premières phases du développement de la Diète. C'est lui justement qui a démontré un nouveau fait important: les origines de la Diète polonaise datent d'un siècle plus tôt qu'on l'admettait jusqu'ici; il s'intéressa en plus aux formes alternatives à la Diète du Royaume, à savoir: diète campêstre (sejm obozowy) au temps de guerre, diète dite à cheval (sejm konny), confédération. Il démontra aussi le rôle plutôt secondaire, dans la genèse de la Diète, des votes sur les impôts.
Dans le texte original on a essayé de demontrer la personnalité de Juliusz Bardach et ses activités qui en sont le reflet. Sa facilité à créer des liens entre hommes et ses talents d'organisateur ont largement contribué à la cohésion du milieu d'historiens polonais de droit et des institutions. Quoiqu'exigeant et parfois même sévère dans ses critiques, Juliusz Bardach sert tout le monde de ses conseils et y offre volontiers son aide. Il est promoteur de neuf docteurs en droit, dont cinq sont déjà professeurs (Jan Baszkiewicz, Jan Jończyk, Andrzej Ajnenkiel, Michał Pietrzak, Stanisław Russocki). Maintenant deux jeunes historiens de droit préparent dans son séminaire les thèses sur l'histoire de l'ancien droit lituanien. On peut compter par centaines ses opinions et ses expertises préparées à l'occasion des soutenances des thèses en doctorat, de la „habilitation" et de l'octroi du titre de professeur. Ces opinions objectives, exigeantes mais bienveillantes comptent sérieusement dans le processus du développement des sciences historiques en Pologne.
„Polonica non leguntur" – la langue polonaise n'est pas celle des congrès internationaux. Il d'autant plus important que notre science soit convenablement représentée dans le monde et les résultats de ses recherches dûment propagés. Cette mission difficile est remplie avec succès depuis quelques dizaines d'années par Juliusz Bardach. Elle s'extériorise, pour ainsi dire, par sa participation aux travaux des nombreuses associations et organisations scientifiques où, souvent, il détient des fonctions de responsabilité. Il suffit de citer quelqu'unes: la Commission Internationale des Etudes Slaves, dont il était président de 1980 à 1985; l'Accademia Nazionale dei Lincei (Rome), dont il est membre étranger depuis 1974; le Comité Directeur de la Société Jean Bodin (Bruxelles) et le Comité de la Société d'Histoire du Droit (Paris). Il est membre ordinaire de l'Accademia Mediterranea delle Scienze à Catagne. de la Commission Internationale d'Histoire des Assemblées d'Etats et du Parlementarisme dont il est devenu en 1980 viceprésident honoraire; depuis 1961 jusqu'à 1980 il était viceprésident de l'Association Internationale d'Histoire de Droit et des Institutions; il est enfin membre de l'Association roumaine d'Histoire de Droit Comparé.
Les savants polonais, amis et anciens disciples de Juliusz Bardach, lui offrent Pour le cinquantenaire de son travail de recherche et trente cinq ans de cours universitaires les études contenues dans ce volume en espérant qu'il les acceptera en expression de leur reconnaissance, de leur admiration et de leur amitié.