Bogusław Leśnodorski — historien des hommes, des idées et des institutions (1914-1985)

Abstract

Le 1er juillet 1985 mourut a Varsovie, après la longue maladie, le Professeur Bogusław Leśnodorski. La personnalité de cet eminent savant, historien et juriste se caractérisait d'un champ d'intérêt extrêmement étendu ainsi que des activités menées sur beaucoup de plans: scientifique, d'organisation, social, de vulgarisation, pédagogique.
Le Professeur Leśnodorski se vit former, en tant qu'homme et savant, par l'atmosphère de sa maison natale, de l'école, de l'Université et de la ville où il était né et élevé, à savoir Cracovie. Il naquit le 27 mai 1914 en famille professorale. Une influence indéniable sur la formation de l'imagination historique du garçon fut exercée par l'école, unde des meilleures dans la Pologne méridionale — Gymnase Jean III Sobieski, dont le directeur était Gustaw Leśnodorski, père du futur professeur. En 1932 - 1936 Bogusław Leśnodorski étudiait à la Faculté de Droit de l'Université Jagellonne, toujours à Cracovie. Ce fut un eminent historien de l'ancien droit polonais, Stanisław Kutrzeba qui devint son maitre. Parmi ses professeurs il comptait aussi Stanisław Estreicher, Stanisław Wróblewski, Rafał Taubenschlag et Jerzy Lande. Après avoir fait ses études, Bogusław Leśnodorski se consacrait à la recherche scientifique, en commençant aussi le stage au Barreau. En 1938 il obtint le diplôme du docteur en droit de l'Université Jagellonne en ayant soutenu la thèse ha position juridique et étatique de la Prusse royale à l'égard de la Couronne du Royaume de Pologne dans les années 1454 - 1569.
La IIe guerre mondiale voulut dire une nouvelle expérience douloureuse dans la vie de Bogusław Leśnodorski. Il se vit déporter le 7 novembre 1939, avec le groupe de professeurs et de jeunes enseignants de l'Université Jagellonne, à Sachsenhausen et puis à Dachau où il allait être interné jusqu'à décembre 1940. Dans le camp de concentration il participait à l'oeuvre de l'enseignement et de l'autodidaxie. Etant revenu à Cracovie il s'engagea dans l'enseignement clandestine à la Faculté de Droit de l'Université Jagellone.
Après la guerre Bogusław Leśnodorski continuait à travailer à cette Faculte — en qualité de maître-assistant. En 1947 il fit l'habilitation (équivalent de l'agrégation). En 1950 il arriva à Varsovie, ayant été nommé le professeur extraordinaire (depuis 1958 il fut professeur ordinaire) ainsi que le chef de la Chaire d'Histoire de l'Etat et du Droit de Pologne auprès de la Faculté de Droit de l'Université de Varsovie. Il était ensuite le directeur de l'Institut d'Histoire de l'Etat et du Droit pour devenir Doyen de la Faculté (1965 - 1968). En 1982, déjà gravement malade, il prit sa retraite précoce.
Bogusław Leśnodorski fut l'enseignant et éducateur de nombreuses générations des juristes polonais. Conférencier né, il donnait des cours pleins de digressions, difficiles qui imposaient un effort intellectuel. Il était également un superbe vulgarisateur de l'histoire. Ses causeries de radio, ses émissions de télé ou bien ses articles de presse présentaient, d'une façon compréhensible à tous, les résultats les plus récents de la recherche historique.
Bogusław Leśnodorski avait aussi de responsabilités à l'extérieur de l'Université. Il était ainsi pendant quelque temps le vice-directeur de l'Institut d'Histoire de l'Académie polonaise des Sciences, membre du Comité des Sciences juridiques et du Comité des Sciences historiques de l'Académie, rédacteur- en-chef du „Kwartalnik Historyczny" (durant 21 ans — jusqu'à la fin de 1974), membre du Comité de rédaction du „Czasopismo Prawno-Historyczne". En 1973 il devint membre- correspondant de l'Académie polonaise des Sciences. Il est aussi difficile d'énumérer toutes ses nombreuses fonctions et distinctions étrangères. Il faut cependant noter qu'il était depuis 1966 docteur honoris causa de l'Université de Toulouse ainsi que le membre de la Société de Législation comparée, de la Société des Etudes Robespierristes et de la Commission internationale pour l'Histoire des Assemblées d'Etats. Grand admirateur de la France et de sa civilisation, il entretenait de vives relations avec la science française. En 1962 il fit un cycle de conférences d'un semestre à la VIe Section de l'Ecole Pratique des Hautes Etudes à Paris, consacrés à l'histoire polonaise du XVIIIe siècle. Il fit aussi les conférences à Grenoble, Lyon, Nancy. Paris et Toulouse.
L'oeuvre scientifique de Bogusław Leśnodorski englobe 8 livres et plus de 400 autres ouvrages (études, articles, essais, revues critiques). Sa recherche avait pour son domaine principale le Siècle des Lumières. Son livre L'oeuvre de la Diète de Quatre Ans (1788-1792) — publié en 1951, mais commencé déjà sous l'occupation nazie, sur la base duquel il avait fait l'habilitation — sert toujours de somme irremplaçable en matière des réformes de la „Diète révolutionnaire", et notamment de la Constitution du 3 mai 1791. bien qu'il ne soit pas aujourd'hui le dernier mot de la science polonaise. Cet ouvrage allie les problèmes du régime politique avec ceux de la politique générale, en présentant, sur le vaste fond européen, le rôle d'inspiration qu'y jouaient les idées politiques. Le domaine de la pensée politique des Lumières polonaises fut visé aussi par la monographie Les jacobins polonais, publié en 1960 (traduction française — Paris 1965). Le livre révèle la pensée progressiste de la période de l'Insurrection nationale de 1794, apogée des Lumières polonaises.
La Renaissance polonaise constituait la deuxième époque à laquelle s'intéressait vivement Bogusław Leśnodorski. Il s'agit surtout de l'histoire des idées, où l'auteur recherchait d'éléments modernes, ce qui était le cas des Etudes sur Nicolas Copernic en tant qu'humaniste.
Bogusław Leśnodorski ne renonçait pas pourtant a étudier le XIXe siècle ou bien l'histoire contemporaine. Les preuves en sont ses études portant sur le Duché napoléonien de Varsovie et sur la restitution de l'Etat polonais en 1918. Il se penchait aussi sur l'histoire de la science, et notamment l'histoire des Universités. Il écrivait sur la vie universitaire contemporaine et les missions de l'Université. Il considérait toujours l'Université comme une communauté, d'enseignants et d'enseignés, une universitas magistrum- et scholarum.
L'histoire de l'Administration fut son dernier objet d'intérêt particulier. Là, il devint promoteur de la recherche historico-administrative en dépassant largement l'échelle polonaise, ce que démontre son rapport au XIIIe Congrès international des Sciences historiques à Moscou en 1970 portant sur les Eléments juridiques et administratifs dans les transformations de l'Etat moderne.
Le trait caractéristique de l'oeuvre du Professeur Leśnodorski fut ce qu'il abordait toujours les problèmes actuels du point de vue scientifique et sociale, en appliquant les méthodes sociologique et comparative ainsi que certains éléments du structuralisme dans ses aspects dynamiques.
Bogusław Leśnodorski traitait le passé intégralement, en étudiant l'histoire de l'Etat et du droit dans le contexte de l'ensemble du processus historique. Il fut historien des hommes, des idées et des institutions. Marc Bloch écrivit: avant d'être historien de telle ou telle branche, nous sommes historiens tout court. Bogusław Leśnodorski fut sans nul doute l'historien tout court.