La révolution et le droit en Europe au XXe siècle. (II). La révolution et le droit ancien et nouveau: la tradition juridique et les juristes face à là révolution
Journal cover Czasopismo Prawno-Historyczne, volume 39, no. 1, year 1987
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révolutions européennes
droit

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Izdebski, H. (1987). La révolution et le droit en Europe au XXe siècle. (II). La révolution et le droit ancien et nouveau: la tradition juridique et les juristes face à là révolution. Czasopismo Prawno-Historyczne, 39(1), 115–159. https://doi.org/10.14746/cph.1987.39.1.7

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Abstract

La présente partie de l'étude portant sur les aspects, dont les effets, juridiques des révolutions européennes du XXe sièle (dont la première partie est publiée dans le précédent numéro de la même revue) se compose, outre l'introduction et les conclusions, des quatres sections. 

La première, sous le titre L'abrogation de l'ancien droit, est consacrée au divers modes de l'élimination des textes et des règles prérévolutionnaires à la suite soit de l'éclatement, soit du développement ultérieur de la révolution. 

La révolution programmée, le concept ayant été défini dans la première partie, voulut dire une vite rupture formelle avec l'ordre juridique d'avant-révolution. En Russie soviétique la rupture se fit en principe un an après la prise du pouvoir par les bolcheviks; c'est le Položenie du Comité exécutif central du 30 novembre 1918 sur le tribunal populaire de la R.S.F.S.R. que l'on considère comme un acte d'abrogation formelle de l'ancien droit russe. La nullité de l'ancien droit fut décrétée ensuite par les Principes de base du droit pénal de la R.S.F.S.R. du 12 décembre 1919 ainsi que par les Dispositions introduisant le code civil de cette République du 31 octobre 1922, les dernières interdisant d'interpréter les dispositions du code sur la base pas seulement de la législation des gouvernements renversés, mais aussi de la pratique judiciaire (jurisprudence) d'avant la révolution et interdisant de trancher les litiges visant les droits issus des rapports formés avant le 7 novembre 1917. Les actes précités ne concernaient toutefois que leurs sphères respectives. Là, primitivement on admit toute une autre solution — celle d'une continuité de l'ordre juridique sous réserve du défaut soit de" la législation nouvelle en la matière, soit du conflit entre les règles prérévolutionnaires et la conscience juridique révolutionnaire (décret n° 1 sur l'organisation judiciaire du 5 décembre 1917 dont la genèse démontre de grandes hésitations des bolcheviks à l'égard de l'ancien droit). La continuité du droit, toujours limitée quant à sa matière et la durée, se manifestait également à l'extérieur du droit appliqué par les tribunaux. Elle se rapportait notamment aux institutions administratives. L'ancienne division territoriale de la Russie centrale se maintint jusqu'à 1929, mais il faut noter aussi un maintien des anciennes institutions de l'autogestion territoriale, ne supprimées que par degrés et une durabilité relative de l'ancienne législation fiscale. Les règles et institutions anciennes pouvaient ainsi subsister jusqu'à l'adoption de la législation soviétique en la matière.

La révolution hongroise de 1919 fit abroger l'ancien droit bien plus vite. Toute autre fut, en revanche, l'attitude des dirigeants des révolutions programmées postérieures. Or, en Yougoslavie la loi du 23 octobre 1946 (suite du décret-loi du 3 février 1945), bien qu'elle soit intitulée Sur la nullité des dispositions des lois adoptées avant le 6 avril 1941 et sous l'occupation ennemie, n'abrogea pas tous les textes qu'elle visa. Elle y introduisit une gradation — de la non-existence juridique jusqu'à l'application, sans se référer pourtant aux textes respectifs, des principes d'anciens textes s'il y avait eu de lacunes dans la législation nouvelle et cela ne s'était pas opposé aux principes de l'ordre constitutionnel nouveau. Dans la pratique l'application de l'ancien droit devenait un large phénomène, surtout dans le domaine du droit civil. La vigueur de l'ancien droit naissait pourtant imperio rationis et non pas ratione imperii. Un autre pays subissant la révolution programmée, à savoir l'Albanie, ne connut pas même un homologue de la loi yougoslave du 23 octobre 1946, sans mentionner le Položenie russe du 30 novembre 1918.

Les autres démocraties populaires issues de la IIe guerre mondiale représentaient le type de la révolution transformable. Elles ne constituaient aucunement un groupe homogène. Les deux critères de leur division s'imposent: culturel (Europe centrale et Europe balkanique, englobant aussi la Yougoslavie et l'Albanie, plus proche de la Russie soviétique) et politique (anciens alliés de l'Axe et pays occupés). Elles avaient toutefois bien des traits communs, dont la continuité de l'ancien ordre juridique; pour les pays occupés (Pologne, Tchécoslovaquie) l'ancien ordre voulut dire celui d'avant l'occupation nazie. La continuité, et cela résulta du fait même de la révolution, fut limitée. L'ancien droit, pour l'appliquer, ne pouvait pas s'opposer aux principes du régime politique et socio-économique nouveau. La dernière règle fut formulée de diverses façons; soit par la Constitution (Tchécoslovaquie en 1948), soit par une acte législatif (Hongrie en 1949), soit par une simple pratique, affirmée par les tribunaux (en Pologne et en Roumanie cela ne se rapporta pas aux constitutions puisqu'au début des transformations révolutionnaires on y était revenu aux anciennes constitutions, respectivent de 1921 et de 1923, en Pologne ne restaurant de plus que des principes de l'ancienne constitution). L'ancien droit était remplacé graduellement par les textes nouveaux. On évitait ainsi un „vide" juridique bien que l'on n'évitât pas une incertitude du droit et sa politisation. L'ancien droit pouvait se voir appliquer longtemps. En Roumanie il subsiste toujours (avec, il est vrai, les amendements essentiels) l'ancien code civil de 1864, le code de commerce de 1887 et le code de procédure civile de 1865; en Pologne on est témoin d'une „renaissance", dans le cadre de la „reforme économique" actuelle, du code de commerce de 1934, pour ce qui est des sociétés.

Ce ne fut qu'en Bulgarie, en vertu de la loi du 20 novembre 1951, que l'on abrogea jusqu'au bout l'ancien droit ce qui voulut dire l'abrogation des actes législatifs ayant été rendus avant le 9 septembre 1944. La bulgarie disposa alors, force est de noter, d'un tronc du droit nouveau.

La révolution spontanée se caractérise d'une extinction du problème de l'ancien droit, le droit, tant ancien que nouveau, n'étant plus un facteur de la transformation révolutionnaire.

Dans la deuxième section on se penche sur La formation du droit nouveau. Partout, sauf l'Espagne en 1936 - 9, exemple de la révolution spontanée, un grand rôle fut joué par les tribunaux. Ce rôle fut énormément grand en Russie soviétique et en Yougoslavie, où les tribunaux, organisés dès le commencement selon les principes nouveaux, devaient combler le „vide" résultant de l'abrogation de l'ancien droit avant l'adoption de nouveaux textes. Les tribunaux nouveaux étaient introduits aussi dans les autres pays. Fonctionnant à côté des anciens tribunaux et en réduisant ainsi leur compétence, ils annonçaient un changement total de l'organisation judiciaire suivant le modéle soviétique, accompli partout après les tournants de 1947 - 8.

Néanmoins, c'étaient les actes législatifs qui servaient de source primordiale du droit nouveau. Or, en Russie soviétique l'activité législative de plusieurs autorités y compétentes était dès le commencement très grande bien que l'on puisse la qualifier aussi de chaotique — jusqu'à la codification de 1922 - 3 — et parfois naïve. L'étude comporte une analyse de la législation soviétique de ses premières années. Là'on note aussi l'impact des changements des forces politiques au sein du camp de révolution. On relève notamment les transformations de la législation agraire fondamentale qui, suivant le fameux décret sur la terre et la loi fondamentale sur la socialisaton de la terre du 9 février 1918 adoptés sous l'influence des socialistes-révolutionnaires de gauche, alors au gouvernement, n'admettait pas une nationalisation de la terre, le concept et ses répercussions n'allant être introduits qu'à l'occasion de la „deuxième révolution soviétique" ses années trente, c'est-à-dire de la collectivisation de l'agriculture.

On s'occupe aussi de l'attitude à l'égard du droit en Russie soviétique et en U.R.S.S., typique des années vingt, résultant de la foi en dépérisement vite du droit en général. Un attachement aux clauses générales ainsi qu'à l'analogie dans le droit pénal en furent des manifestations plus durables. Cette attitude, qualifiée de „nihiliste" fut condamnée dans les années trente quand J.V. Staline et son juriste-en-chef A. Ja. Vyšynski construisèrent leur modèle normativiste du droit aux implications pratiques de base. Le droit redevint une haute valeur. Bien qu'il ne fût non plus la même chose que le droit prérévolutionnaire, il gardait l'empreinte tant de ses racines d'avant la révolution que de ca genèse révolutionnaire, dont une généralité et une instabilité. C'était ce droit qui servait de modèle aux démocraties populaires de la période postérieure à la IIe guerre mondiale. La réception du modèle soviétique, dont la vitesse et l'étendue n'étaient pas les mêmes dans tous les pays que l'on envisage, est aussi l'objet de l'intérêt de l'auteur qui essaie d'y exprimer quelques opinions générales.

Dans la troisième section on se propose d'étudier les rapports entre La révolution et la tradition juridique. La révolution qui vise à rompre, au moins partiellement, avec l'ancien droit, vise à rompre avec la tradition liée avec ce droit. La dernière est toutefois bien plus difficile que la première, sinon impossible. L'auteur pensant d'aborder le problème plus vaste du changement face à la tradition en droit dans une étude à publier dans la „Revue Internationale de Droit Comparé", il se borne à essayer de coiffer dans la présente étude la terminologie nécessaire. Il propose ainsi de faire la distinction entre la tradition juridique et la tradition juriste (la première est transmise par les règles du droit et par la conscience collective, l'autre, professionnel et technique, est transmise par l'intermédiaire des juristes qui participent à la création et à l'application du droit), la distinction entre la tradition au sens strict (concepts et constructions de base, principes sur lesquels s'appuie le système juridique, ses méthodes et techniques) et au sens large (englobant les valeurs idéologiques, religieuses et culturelles ainsi que le fond sociologique et économique de l'ordre juridique), ainsi que la distinction entre la continuité du droit et la continuité en droit. La dernière expression de la tradition, plus juriste que juridique, est un phénomène universel. Elle dut se manifester également dans les pays subissant la révolution, même celle programmée. Ses manifestations diféraient, en fonction aussi des conditions propres à chaque pays particulier; la Russie s'y distinguait le plus ayant connu sous les tsars un fossé entre la tradition juridique populaire et la tradition juriste, imposée et savante. Le phénomène de la continuité en droit était longtemps nié dans la doctrine des pays en question ce qui n'est plus le cas.

L'étude des rapports entre la révolution et la tradition en droit fait aborder le problème de l'attitude du millieu des juristes à l'égard de la révolution - sur laquelle ports la quatrième section.

C'étaient les juristes qui faisaient la révolution puritaine anglaise du XVIIe siècle et, dans une moindre mesure, la révolution française de 1789. On se battait alors pour un droit — le „bon ancien droit" menacé par l'absolutisme royal en Angleterre, le droit naturel de l'homme en France. Pour les révolutions du XXe siècle, et notamment pour les révolutions socialistes, le droit n'est plus le mot d'ordre le plus apprécié. Ces révolutions ne sont pas faites par les juristes. V.I. Lénine, juriste de formation, s'intéressant toujours aux activités législatives de l'Etat soviétique, ne pouvait être traité de juriste lorsqu'il dirigeait la révolution russe. Un seul juriste de pur sang qui se trouva au sommet du pouvoir révolutionnaire, E. Beneš, président de la Tchécoslovaquie jusqu'au tournant de 1948, croyait dans la révolution, mais uniquement la révolution démocratique et non la révolution socialiste.

Mais la révolution, en ne pouvant pas se passer de droit, ne peut se passer non plus des juristes. Ce sont eux qui préparent les projets de la nouvelle législation, ce sont eux qui contrôlent les tribunaux, ce cont eux qui font fonctionner la magistrature, même si l'organisation judiciaire repose sur les assesseurs populaires qu'introduisit le premier décret soviétique portant sur l'administration de la justice. Les juristes servant à la révolution n'étaient pas au commencement représentatifs de l'ensemble de la profession. Seulement une part d'eux adhèrent au camp révolutionnaire ayant été imprégnés des idées révolutionnaires puisque nombreux étaient aussi les „entristes" qui voulaient laisser leur empreinte, ancrée dans la tradition, sur l'ordre juridique nouveau en formation. Les premières années de la révolution leur ouvrirent de grandes possibilités en la matière. L'élimination des ennemies de la révolution d'un côte et la pression exercée sur les juristes „entristes" de l'autre fit le milieu des juristes se donner corps et âme aux dirigeants de la révolution. Ce m'étaient plus les juristes qui décidèrent du caractère du droit nouveau.

C'étaient toutefois les juristes qui gardaient un bagage de constructions, concepts, méthodes et techniques plus universels, élaborés avant la révolution. Par leur truchement certaines traditions se conservèrent, en pouvant ressusciter ou affermir dans la période ultérieure.

L'institution de la Haute Cour administrative polonaise en 1981, renouant dans une mesure avec la tradition du Tribunal administratif suprême d'avant-guerre, et la jurisprudence de la Haute Cour se référant parfois à celle du Tribunal suprême en peuvent être exemples. On se propose de les étudier dans l'article séparé que l'on va publier dans le prochain numéro du „Czasopismo".

https://doi.org/10.14746/cph.1987.39.1.7
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